Thursday 28 December 2017

Chapitre I

Prologue

“ Quoi? C’est fini? Mais… et le vent? ”

“Agha Djan, calme-toi. On doit pouvoir le retrouver” Naneh se penche sur le coffre et fouille parmi les figurines.

“Mais va-t-on le retrouver?” fait le vieillard d’une voix aiguë. “Les Troubadours du Très Haut ne restent pas dans un endroit : Ils s'arrêtent. Ils se déplacent. Naneh, tu as perdu Bad! Tu t'es trompée dans ton histoire.. Bad est perdu! A cause de toi!”

"Qui est Bad?" demande Nima.

Voyant qu’on ne lui répond pas, elle se tourne vers Tachi qui lui suggère tout bas "Je crois que c'est le nom du Vent, mais pas n'importe quel vent: c'est Le Vent du magicien".

Naneh farfouille dans le coffre, demande son aide au vieillard pour en vider le contenu sur le sol de la caverne. Les jouets tombent les uns sur les autres dans un amas de couleurs.

“C’est bien ce que je pensais: Tu as tout ici, sauf Lui.” conclue Naneh, après avoir examiné les figurines.

“Mais comment sculpter le Vent?” Pleurniche à nouveau le vieillard, debout et les bras ballants.

Naneh rajuste son foulard et le noue sous son menton. Puis elle marche a la paroi d'où, creusant de son index, elle détache un peu de glaise. D’un coup, le vieillard se calme.

“Si tu veux rattrapper Bad” explique-t-elle en retirant de petites quantités de glaise qu’elle malaxe entre ses doigts, “il faut pouvoir le reconnaître parmi tous les autres vents: Comme tes chardons, tes melons, tes brebis et tes bergers, il faut lui donner une forme: On prétendra que Bad est rond puisqu’il n’a pas pu résister aux tourbillons des Troubadours; il est d'un bleu plus marqué que les autres vents du ciel." Naneh partage la glaise en trois parts inégales et presse le jus de trois myrtilles sur la plus grosse.

Le jus s'étale en un clin d’oeil. Satisfaite, Naneh s'assure qu’elle a l’attention du vieillard. Chacun l’observe dans le silence.

“ Bad que tu veux rattraper a la mauvaise habitude de s'arrêter pour admirer ses effets sur le paysage” reprend-elle en façonnant le plus gros morceau de glaise “ Le vent, le vrai, s’il fait une pause, ce n’est pas par vanité…"

Naneh se concentre, puis elle ajoute du safran sur ce qui reste de la glaise:  "...Enfin, il porte une couronne pour montrer son importance. Et voila! Je te présente Bad! On le verra se retourner pour admirer les effets que son passage aura laissés!” Elle pose devant elle un bélier rond comme un nuage, du même bleu que les mosquées et dont les cornes repliées imitent la couronne d’un roi."

"Tu n’as pas a me changer puisque tu l’as déjà fait. “ dit-elle au magicien “Mais tu dois encore changer Nima et Tachi.”

" Aucune idée. Que veulent-ils être?" fait-il en se lamentant , découragé par la perte de son vent.

"Tu vas trouver. Je commence a raconter et dès qu’il te vient une idée, arrete-moi." suggère Naneh. Et, la voix graveleuse et tendre, elle se met a parler:

“Chaque année quand le printemps revient avec ses torrents, avec ses chutes d’eau sauvage qui bafouillent sous la neige et le luth que ses ruisseaux jouent sous les arbres des vergers, l’air tiédit et la vallée vibre de joie comme un grelot…”

“ Arrête-toi! Un grelot … un grelot…” Fébrilement, le magicien fouille parmi les figurines éparpillées au sol.

“Ah! Le voici!” s’exclame-t-il en brandissant, triomphal, une figurine peinte en rouge. C’est un petit bonhomme maigre au visage barbouillé de noir. Il tient d'une main un tambourin agrémenté de grelots.

“Hajji Firooz!” hurlent de joie les enfants. Nima ajoute, toute excitée : “C’est lui qui annonce le printemps : il saura où est le Vent!”

"Hajji Firooz, ce sera toi“ fait le vieillard a Tachi. D’un coup, il a retrouvé toute sa malice et fait tenir la figurine a cote du bélier bleu.

"Et toi" dit-il a Nima "tu t'appelleras Yalda. Il s'interrompt et se tourne, l'air coquin, vers sa nourrice: "Toi, Naneh, tu vas rester la pie que tu étais avant. Allons retrouver mon frère!"

"Tu as un frère, Magicien?" font d'une seule voix les enfants, esperant que le vieillard a un secret a leur confier, un beau secret pour eux seuls.

"Nous allons y arriver. Mais, pour l'instant, vous allez m'aider à le rattraper. A toi, Naneh! C’est ton tour! Et assure-toi qu’il restera dans la vallée pour de bon!"

Yalda et Hajji Firouz


Chapitre I

Cette fois, je vais vous raconter comment j'ai réussi, toute seule, moi la pie du vieillard, sous mon plumage noir et blanc, à faire revenir le vent.

Si mon maître m’a accoutrée de ces couleurs sans éclat, c’est qu’il sait que Bad, son vent - qui n’aimait que ce qui brille - a certainement changé depuis. Ce vent qui nous a préféré les Troubadours du Très Haut, leur rythme discipliné aux démesures de nos glaciers.

Lui qui grimpait à nos mûriers, grimpe aujourd’hui aux minarets; lui qui mettait des pétales aux branches de nos amandiers, tourne les pages d’un Coran dans la cour des madreseh; lui qui goûtait nos fruits confits et buvait à nos torrents, se satisfait d'abricots secs, de l'eau captive des points d’eau.

Le vent qui court en ce moment n’est pas le vent qu’on attendait: c’est une vraie bise d’hiver. Elle souffle dans toutes les vallées qui se cachent dans nos montagnes. Elle dit la vérité, elle ne fait jamais semblant, elle ne feint pas le beau temps, ne travestit pas nos sentiers de lila bleu par brassées, n’affuble pas nos pâturages de ces tulipes d'Arménie que seul le vent du magicien aurait parsemées ici.

Le vent qui court en ce moment n’est pas un artificier. Le vent qui court en ce moment attend que le printemps soit prêt pour accourir nous l’annoncer.

Chapitre II

De même, un autre personnage, bien connu de nos montagnes, attend que le printemps soit prêt.

Hajji Firouz.

Chaque année, Hajji Firouz, dans son habit rouge cerise, vient nous annoncer le printemps. Il agite un tambourin rehaussé de grelots d’or et ne vient jamais avant que les courants printaniers soient assez forts pour enlever nos cerfs-volants jusqu’aux crêtes. Apres lui, les caravanes, les bergers et leurs troupeaux, les voyageurs et les marchands, les monteurs de cerfs-volants descendent jusqu’a la vallée pour troquer leurs marchandises ou simplement participer au concours de cerfs-volants.

Dès qu’ils s’approchent de nos sommets, nous entendons les chameliers qui s’interpellent sur la piste. D’un bord à l’autre des torrents, leurs cris rauques chassent les loups qui rôdaient près du village. Alors, on aide à faire du feu pour réchauffer les corridors de notre caravansérail. On aère, on balaie, on allume les samovars. Nous connaissons les chameliers par leur nom et nous savons d'avance qu'ils voudront troquer leurs plus belles montres pékinoises pour un seul de nos tapis; quelques enfants du village sont même nés le même jour que l’un ou l’autre des chameaux ou des brebis de leurs troupeaux. C'est vous dire l'impatience avec laquelle nous attendons Hajji Firouz, avant coureur des caravanes et des concours de cerfs volants.

Chapitre III

Dans le petit tchaikhaneh près du torrent encore gelé, l’unique conversation des quelques hommes du village concerne l’attente du printemps. Ils sont assis en tailleur sur un de ces tapis de laine qu’ils ont tissés pendant l’hiver et comptent troquer au printemps. Mais l’absence du beau temps signifie que cette année les chameliers ne viendront pas. Sans l’annonce d’un concours de cerfs-volants dans la vallée, ils resteront sur la piste allouée aux caravanes et ne se risqueront pas sur le Col dans les Nuages.

“ Ce qui fait que les caravanes venaient ici avant tout, c'était notre printemps précoce.” revendique un villageois

“Et qui dit printemps dit grands vents” reprend un autre

“Assez forts pour les cerfs-volants!” ajoute Tachi a mi-voix. Tachi est un enfant du village. Plutôt que de rester chez lui à se languir du beau temps, il aime écouter les grands assis autour du samovar

“Le beau temps arrivera en son temps.” intervient le kadkhoda. “Il faut arrêter de croire que c’est seulement pour nos printemps que les chameliers reviennent. Ca n’est pas le vent d’ici qui fait que nos fruits confits sont les meilleurs de la région, c'est l'effort renouvelé de nos femmes dans les cuisines, ca n’est pas non plus le vent qui tisse les fleurs de nos tapis, mais la finesse de nos trames, la qualité de notre laine, la ténacité des tons que nous obtenons des fleurs, l'agilité de nos doigts; c’est parce qu'on a toujours compté sur un vent précoce, qu’on ne sait pas comment faire s’il ne s’est pas manifesté... "

“A moins d’un miracle, kadkhoda… les chameliers seront partis avant qu’on ait eu une idée.”

Tachi se lève et se dirige discrètement vers la sortie Il a deja decide d’aller trouver ce miracle  qui ramènera les caravanes et la joie dans le village.

“Prend mon lance pierres " lui offre un villageois qui le voit enfiler ses bottes. "… un jour ce loup réussira à nous voler un agneau!” .

Dehors, le froid est intense. Tachi pourrait rentrer chez lui, à peine à quelques pas de la. Mais, bravant le froid, il continue sur le sentier qui mène vers les sommets et les jardins du magicien. Même s'il ne souffle pas ailleurs, le vent tiède du printemps y est toujours omniprésent. Tachi soupçonne le magicien de savoir séduire ce vent qui libère ses torrents, réchauffe la terre de ses jardins, remplit ses vergers de bourgeons et ses allées de parfums.

S’il doit trouver une idée, ou comme disait le villageois: un miracle, Tachi sait que ce sera près des sommets,  dans les jardins du palais.


Chapitre IV

Ce sont les seuls jardins connus de cette région montagneuse ou les peupliers abondent, hautains, blancs et solitaires. Agrémentés de volières, on y voit habituellement se déplacer des oiseaux dans une brise délicate.

Mais, ce matin il n’y a rien. Aucune fleur, pas d’oiseaux, et la meme bise froide qui souffle partout ailleurs. Seuls quelques nids de corbeaux s’engourdissent dans les branches et le rire d’une petite fille s’envole par intermittence, comme une pie dans le silence.

Moi, la pie du magicien, j’ai fait mon nid dans ces jardins autrement vides du palais. Je m’ennuyais sur ma branche, mais l’arrivee de Tachi m’enchante autant qu’elle agace deux ou trois corbeaux qui vont s’envoler en protestant. Tachi ramasse quelques tiges tombées des arbres sur la neige. Parmi elles, un grelot… Tachi regarde autour de lui, puis en l’air. Il m'aperçoit.

“As-tu volé ce grelot au tambourin de Haji Firouz?” me lance-t-il en riant et il commence a grimper au peuplier ou j'ai mon nid. Il sait qu'il va y trouver tout un trésor d'objets brillants: comme toutes les pies j'aime ce qui brille: des amulettes prises aux colliers des chameaux des caravanes, des bouts de fil d'or et d'argent, la clef en cuivre des volières dont mon maître n'a plus besoin depuis qu'il n'a plus d'oiseaux; et un grelot. Un grelot pour un tambourin. Ayant trouvé ce qu’il cherchait, Tachi l'empoche et redescend.

Une fois a terre, il dépose les deux grelots sur la neige, tire une tige de peuplier de la poche de son paletot et y attache les deux grelots avec le lacet du lance pierres. Puis il secoue: c'est un hochet! Dans le silence, les grelots produisent un bruit de cymbales qui porte jusqu'au ruisseau ou Yalda, une bergere, casse la glace pour sa chèvre.

Chapitre V

"Hajji Firouz?" s'ecrie Yalda. Puis, reconnaissant Tachi qui dévale le sentier, elle s’interrompt :

"Ah, Tachi..."

Puis elle reprend:

“Je t’ai pris pour Haji Firouz!”

" Je crois bien que cette année, Hajji Firouz ne viendra pas!...  Il fait trop froid dans la vallée! Laisse-moi faire, je vais t'aider! "

Tachi frappe la surface du ruisseau de son talon. La glace cède sous sa botte, découvrant l'eau pour Golbibi. Mais au lieu de se pencher pour boire, la chèvre observe sans bouger.

"Elle n'est pas facile, ta chèvre! "

"Elle n'est pas de bonne humeur, elle s'ennuie. La vue des volières vides, des allées encore gelées la dépriment. Le magicien me l'a confiée pour la promener loin du palais. Et il m'a donné sa flûte pour appeler s’il y a le loup..." Yalda sort de son palto une flûte en bois. C’est un ney.

"Ah, oui, les loup. Habituellement, ce sont les cris des chameliers qui les font fuir vers les sommets. Mais cette fois, ça n'est pas eux qui vont nous en débarrasser… Trop froid pour les caravanes. Ils vont plutôt se diriger vers une des vallées voisines ou les concours de cerfs-volants sont annoncés pour le printemps."

“Pourquoi la neige ne fond-elle pas avant d’avoir fondu ailleurs, comme elle le fait tous les ans? Pourquoi le vent est-il si froid? Il devrait déjà faire beau et Golbibi devrait déjà gambader seule dans la montagne…D’ailleurs, j’aurai une récompense quand Golbibi acceptera de se promener sans crainte! Tant que le loup sera la, elle refusera de porter le magicien jusqu’au village.”

Tachi s'assied sur la neige et sort des tiges de son paletot.

"Que fais-tu?”  Yalda s'approche.

“Un cerf-volant…"

" Mais il ne te servira à rien: Pas de vent: pas de concours! ”

Dans le grand silence blanc, soudain un gros tas de neige tombe d'un arbre, en contrebas.

Golbibi bondit de peur mais Yalda l’immobilise et la tenant par les cornes, scrute les jardins du palais. Ils semblent aussi vides qu’avant, mais en y regardant mieux, un loup blanc va d'un tronc à l'autre, hésite devant les hauts murs bleus.

Yalda chuchote :

"C’est le loup! Tu le vois? ... La : le loup! "

Son premier geste est de sortir la flute de son paletot, mais quelque chose la retient et lorsqu'après avoir tenté de sauter par-dessus du mur, le loup retombe en jappant, elle renonce à s’en servir.

"Il n’y arrivera jamais : Les murs sont trop hauts pour lui..."

Un chien hurle du village, puis un autre. Desesperement, le loup cherche un endroit d'où se sauver. Les aboiements se multiplient, deviennent plus insistants.

"Là-bas!” indique Yalda “ Il  y a une brèche dans le mur!!".

Dans sa hâte de sauver le loup, elle glisse une fois sur la pente puis la dévale jusqu’à l’endroit sous la poussée des arbres, des pierres se sont affaissées, creusant une brèche dans le mur. Puis elle souffle légèrement dans la flûte du magicien. Quelques notes, à peine audibles, intriguent le loup qui s'approche, avance une patte, hésite tout en observant Yalda qui ne bouge pas. D'un coup, la bete se décide, passe la brèche et s’enfuit en direction des sommets.

"Mais, tu l'as aidé à fuir!" chuchote Tachi, comme s’il craignait d'être entendu.

"Je sais." répond Yalda tout bas  “  On dira au magicien que Golbibi est en sûreté! "


Chapitre VI

Je suis encore sous le charme de la flûte du vieillard. Alors, comment imaginer que le vent a pu résister aux notes laissées en suspens dans les jardins du palais?

A peine Yalda l’a-t-elle rangee dans sa poche, qu’un nuage roule dans le ciel comme un tonneau! La grisaille disparait soudain laissant sa place au soleil et un vent puissant se lève, un vent tiède et printanier. Sa force vient me bousculer, chasse une virée de corbeaux, seme le desordre dans les branches qu'il écarte pour dévaler le versant de la vallée jusqu’aux arbres ou les enfants, surpris par le revirement du temps, suivent la course du nuage..

Le jardin craque comme une bête qui, après avoir hiberné, détend ses membres et soupire d'aise. Et le soleil qui était resté caché depuis longtemps se répand sur les jardins, soudain lumineux et tiède.

C’est alors que le nuage se déploie sur les jardins. Alors, d’entre les fourrés, il se dégage un bélier bleu, a la grande joie des enfants. Sa tete est ornée de cornes minuscules et dorées. Bien que robuste, il est léger car la neige ne porte pas l’empreinte de ses sabots.

Chapitre VII

Depuis longtemps les allées dans les jardins du magicien ont pris un air d'abandon et ses volières restent désertes. Le vieillard ne comprend pas comment il a tout perdu: ses oiseaux, son potager, son amitié avec le juge. Et le vent, ce fameux vent qui venait faire le printemps et l'aidait à s'emparer des cerfs-volants qui gagnaient, boude aujourd'hui la vallée.

Habituellement, les vergers auraient déjà fourni les fruits pour les étals du marché.

Habituellement, à cette époque, les villageois auraient lancé leurs cerfs-volants vers les sommets.

Habituellement, les caravanes seraient déjà dans la vallée avec leurs troupeaux de chèvres dont Golbibi se languit. Et les loups etant partis, elle n’aurait pas refusé de le porter jusqu’au village.

Alors qu'il se tient debout devant la porte fenêtre de la grande salle au tapis, l'air maussade, les yeux perdus sur les allées de son jardin, le magicien saute de joie en entendant des grelots en même temps qu’il aperçoit trois tulipes dans la neige.

"Hajji Firouz!" s'écrie-t-il en rajustant son turban. "Vite, un plat de baklavas, un bol de fruits sur le korci, tisonner le brasero! re-activer le samovar.... Ou donc est passée Naneh?"

Dans sa grande excitation, il trébuche, se reprend puis se dirige vers la porte avec l'enjouement requis pour accueillir le printemps. Mais, ça n'est pas le printemps qui se tient devant sa porte. Devant sa porte sont Tachi, Yalda, sa chèvre Golbibi et un bélier bleu comme le ciel et ventru comme un tonneau.

"Ah… Tachi, ça n’est que toi!"

“ Tu as raison : ça n'est que moi" plaisante Tachi. "Yalda aussi s'est trompée quand elle a entendu mes grelots... Elle aussi a cru que j’etais Hajji Firouz. Si je portais ses habits, le vent lui-même s'y tromperait! "

Un moment de silence passe. Mon maitre a enfin trouvé comment séduire le printemps!

Tachi reprend:

“ Le loup n’est plus dans la vallée… grâce a Yalda.”

“Et bien, je suis impressionné!” s'écrie enfin le magicien. Ca mérite une récompense” Satisfait de son idée et certain qu’elle va marcher, Il se dirige vers un des murs ou trône un coffre en argent ciselé d’arbres et d’oiseaux.

Il en tire un cerf-volant dont il replie, une à une, les tiges de bois qu’il habille d’une étoffe de soie rouge. Il en résulte une lanterne presqu’aussi grosse que Yalda.

“Voila pour toi” dit-t-il a Yalda.

“Oh, merci magicien” s'écrie Yalda “ Merci! Elle est si belle ta lanterne qu’elle gagnera à coup sûr! Aucun vent ne pourra lui résister!”

“Précisément” répond le magicien avec un sourire malicieux. Il cherche à nouveau dans le coffre pour en sortir cette fois un baluchon de tissu rouge.

“C’est pour toi…” fait-il a Tachi, en dépliant le baluchon, “...

“L’habit de Haji Firouz!” s'écrient ensemble Yalda et Tachi.

“Des baklavas?  Un peu de thé?” offre mon maître, bien qu’impatient de les voir regagner les jardins. Plus vite Tachi aura pris les habits de Haji Firouz et Yalda aura lance sa lanterne dans le ciel, plus vite le vent reviendra souffler pour lui, au palais.

“... pas besoin d’aller au village pour annoncer le printemps!” fait-il en les raccompagnant a la porte du palais. Il sait combien ces deux petits brûlent d’aller au village pour que le juge organise un concours de cerfs-volants avant qu’il ne soit trop tard pour que les chameliers reviennent. Mais un concours impliquerait une multitude de cerfs-volants et le vieillard veut s’assurer qu’il n’y aura que sa lanterne pour emprisonner le vent. Terminant tout haut sa pensee, il donne un dernier conseil avant le départ des enfants “.. entrainez-vous d’abord ici, dans les allées du jardin avant d’aller au village!!”


Chapitre VIII

“Ici! C’est un bon endroit pour l’essayer! S’ils sont encore sur les sommets, les chameliers le verront!” crie Tachi en direction de Yalda. Devant lui, le col dans les nuages resplendit sous un ciel clair qui s'étend sur les sommets et progresse vers l’horizon. “C’est mieux que dans les jardins!”

Confusément, il savait qu’ils auraient perdu du temps en s’entrainant dans les jardins.

Dans le soleil, son habit rouge prend des reflets mordorés et tout au long du chemin les grelots de son hochet ont reflete la lumiere. Bientôt, suivie de Golbibi et du bélier, Yalda arrive a son niveau. Elle tient haut sa lanterne.

“Je ne sais pas ce qu’il a!” dit-elle a propos du bélier. “ Il trépigne. Je crois qu’il veut s’en aller!”

L’herbe a verdi sur leur passage, des fleurs ont poussé ca et la. La neige fond où Tachi dans son nouvel habit rouge ressemblait à un fruit d’hiver et Yalda à une bergère portant un feu à bout de bras.

Maniant le fil qui l’y relie, Yalda lance la lanterne comme elle ferait d’un cerf-volant.

N’y tenant plus, le bélier, s'échappe dans sa direction et un nuage fait irruption dans le ciel de la vallee. Il s'élance, la traverse vers la lanterne ballottée entre deux vents différents.  Celui du vieillard magicien qui imite le beau temps et le vent du vrai printemps.

Chapitre IX

“Le courant tire sur la lanterne! Il est beaucoup trop fort pour moi!” crie Yalda en se battant pour retenir son cerf-volant qui monte, descend, rebondit, virevolte, balloté entre la brise printanière et le vent du magicien qui n’est autre que le belier..
Sous lui, le vert des pâturages s’est teint de vert émeraude, un tapis jaune de tulipes couvre les flancs de la vallée, les vergers bruissent de jeunes feuilles et les fleurs sortent des bourgeons.  

C’est ici que sa vanité retient le vent du magicien. Enthousiasme par les effets de son passage, il s'arrête, se retourne, renouvelle ses miracles.

Tachi, venu a la rescousse, tire le cerf-volant vers lui, le relâche et lui faire prendre la direction des sommets.  

*

Chapitre X

Cependant, non loin de la, les chameliers ont abordé les hauteurs de la vallee. Depuis le début du voyage, les enfants se tenaient prets, dès qu’il y avait un brin de vent, a s'entraîner depuis la piste a notre concours annuel. Mais, vu la glace sur les crêtes, l'accès au Col dans les Nuages risque d'être impraticable et les chameliers dirigent leurs chameaux vers une vallée ou un concours de cerfs-volants, bien que moins impressionnant que dans leur vallée préférée, aura été organisé.

Par habitude, petits et grands examinent les hauts pics blancs qui longent la piste d’un cote; et la surprise d’y voir paraître un cerf-volant couleur cerise dans un azur soudain léger provoque dans la caravane un remous d'excitation.

On s'extasie, on crie sa joie, on arrete les chameaux pour surveiller l'évolution de la lanterne cerf-volant et le retour simultané d’un beau temps inespéré. En effet, le soleil brille, dardant partout ses rayons et mis a part un nuage qui fait la course sur les crêtes, le ciel est bleu et sans tache.

Tout a leur joie, les chameliers prennent le col dans les nuages et descendent vers la vallée ou notre village alerté par leurs appels qui se rapprochent, ouvre son caravansérail et s'apprête a les héberger.

*

Chapitre XI

A peine sont-ils sur le sentier qui descend vers la vallée, que les enfants des chameliers font voler leurs cerfs-volants. La nuée multicolore s'élève au dessus des cretes ou, tiraillée par les deux vents qui se disputent la lanterne, elle chevauche les courants dont l’un ressemble étrangement a un bélier de coton bleu.

Bad, le vent du magicien, en est encore a admirer ses bienfaits sur les vergers, lorsqu’il voit les cerfs-volants. Il sait qu’il a perdu du temps a se faire des compliments et n’est plus sur de gagner. Alors que l’autre vent, le vrai, qui n’a jamais questionne les merveilles du printemps, a de l’avance.

Laissant derriere lui ses miracles, Bad s'élance vers les sommets où la lanterne rouge plane au milieu de cerfs-volants plus beaux les uns que les autres.

Mais, emportée par le vrai vent qui s’y engouffre avant lui, la lanterne fait un bond triomphal vers le soleil et lui échappe pour de bon.

Chapitre XIII

Lorsque la lanterne rouge est remise au magicien qui attendait impatiemment les enfants dans son palais, les chameliers font leurs adieux aux villageois de la vallée, avant de reprendre la route.

Grace a Tachi et Yalda, le concours de cerfs-volants fut le succès qu’on lui connait. Le village a eu son lot de profits, de retrouvailles, d'amitiés renouvelées. Et le cerf-volant gagnant n’a pas été enlevé comme il l'était tous les ans par mon maitre qui est sur d’avoir emprisonné le vent. Après avoir remercié puis congédié les deux enfants, mon maître reprend sa lanterne et monte aux toits de son palais qui donnent sur l’horizon. Une fois la, il chuchote dans l’ouverture de la lanterne:

“ Tu es la Bad? Tu m’entends? Rien ne me fait plus plaisir que ton retour au palais !!! Va! Tu es libre! Va courir dans mes allées, promène toi a ton gré, mais reste ici dans mes jardins …” Du toit, il voit la caravane qui s'éloigne sur la piste et invite a nouveau Bad a se montrer : “ Pour toi, j’ai même renoncé au cerf-volant qui a gagné!”

Heureux, le coeur apaise, mon maître admire le cerf-volant qui flotte après la caravane.

Mais sur les pics formidables ou la neige ne fond jamais, un nuage dont le contours imite les formes d’un bélier, suit de loin. Sans se presser.



EPILOGUE

“ On l’a perdu encore une fois!” fait Tachi

« Il reviendra, en son temps » chuchote tendrement Naneh, les yeux posés sur le vieillard qui s’est tourné face au mur, la tête enfouie dans ses bras. « Tant qu’il aura des idées et de la glaise entre les doigts, le Magicien attendra! »

Puis, elle ajoute en se levant : « Il lui suffit de changer ses personnages. Mais, pour l’instant, laissons-le : la fuite du Vent l’a épuisé. … »

« Ce sont vraiment de belles histoires où tout le monde est gentil… » Commente Nima en mettant les bols les uns dans les autres. Naneh les lui prend des mains, les nettoie puis les empile sur le comptoir.

« Oui, mais lui n’est pas gentil…» fait remarquer Tachi

Naneh réfléchit puis répond :

« C’est juste. Il aime surtout priver les villageois de leurs biens. C’est une manière de se venger… »

« De se venger ? Mais de quoi ? » S’étonnent ensemble les enfants.

L’éclat soudain de leurs voix fait gémir le Magicien.

Naneh continue à voix basse : « Il y a longtemps, les villageois l’ont séparé de son frère. Il en a beaucoup souffert. »

« Le magicien a un frère ? »

Cette fois, le vieillard se retourne sur le flanc et un léger ronflement fait s’envoler régulièrement un long poil dans sa moustache. Il dort encore, à poings fermés. Sur la pointe des pieds, Nima regagne sa place près de Tachi. Naneh se verse un verre de thé, remet la théière à chauffer sur le haut du samovar, puis vient se joindre aux enfants. Elle reprend en précisant :

« Un frère qu’il n’oublie jamais de faire jouer dans ses récits. Il s’appelle Bâd. »

« Bâd. Tu veux dire Bâd, comme le Vent ? » Insiste Nima

« Exactement, tu as compris : Bâd est le Vent de ses récits. »

*

Suite : SOUZ ET BAD - LE LIVRE DE SOUZ

LE LIVRE DE SOUZ